
Le grand cri negre ne se fera plus entendre?
Césaire, Senghor, Hebga, Jean-Marc Ela, ont fait leurs histoires et accompli leur mission. Personne ne pourra contester la pertinence et la grandeur de cette mission. Pensant aux oeuvres de Césaire, j'ajouterai la pièce théatrale 'Une saison au Congo' qui honore si bien notre héros national Lumumba... Je mesure simplement ce qui en reste en ce moment. Je distingue donc leurs oeuvres (grandioses) ou leur personnalité (fort respectable) de leur impact actuel (minime) ou à désirer (l'herméneutique s'en charge). Wole Sonyinka a eu ses avis bien célèbres sur la négritude. Dans 'Carnets d'Amérique', Mudimbe a une conversation fort lumineuse avec Léon Gontran Damas sur les limites de la négritude. Il y a déjà et il y aura des thèses et de monographies pour louer ou désavouer ce courant.
Le problème n'est donc ni Aimé Césaire ni leur négritude. Au pays de la bienséance, on ne critique pas les morts. Meme les pires dictateurs ont droit aux éloges. Mon tort -s'il en est un- c'est la lenteur à y aller. Le point ce n'est pas Aime Cesaire que nous pleurerions avec la meme affection filiale apres les Hebga et les Mveng. Le point, pour éclairer encore, n'est pas de nier la valeur intrinsèque de leurs écrits. Il y a assez de publications pour témoigner du génie de Césaire (entre autre l'oeuvre de notre compatriote Georges Ngal et tant d'autres).
Notre pointe remonte plus loin: nous interrogeons l'Afrique actuelle à partir de cette négritude plus chantée que vécue, à partir de ces patchwork des Afriques embellies de Youtube, à partir de ces idéologies sélectives de génocides et de ethnic cleansing... C'est la que nous attirons l'attention des Africains sur cette vigilance critique chère à Eboussi. Je croyais tout simplement qu'il etait possible de penser autrement, de susciter un autre type de discours plus rigoureux et plus prometteur par rapport aux repétitions stériles et aux fixations dantesques auxquelles on nous habitue dangereusement.
Encore une fois, ma pointe c'est cette 'foule qui ne sait pas faire groupe'. Ce qui fait notre identité, ce n'est pas simplement le fait d'etre noir. C'est plutot un projet commun qui structure notre etre ensemble. A present, cela manque apparemment et donc je ne vois pas ce que j'ai de commun avec un Interhamwe qui viole mes compatriotes congolaises ou avec un Gambien de tel ou tel village. Pensons un peu à l'Orphée Noir de Sartre, interprétant existentiellement la Négritude. Hier, ils étaient mobilisés pour les indépendances et c'etaient des ‘gars’ sincères ou en tout cas de bonne foi: les Alioune Diop, les Cheikh Anta Diop, les Cesaire. Pensons à Légitime Défense, Présence Africaine etc... Et donc c'est la lutte commune qui peut partiellement expliquer cette négritude commune. Et lorsque les Senghor sont devenus des présidents, que s'est-il passé? Cheikh Anta Diop a eu du mal à faire la politique dans son pays... Et bien d'autres calamités au Ghana, en Guinee etc... C'est là le point d'interrogation: c'est meme quoi cette Afrique ou cette race par rapport au cycle du temps depuis la période Pléistocène jusqu'à l'effrondrement actuel des glaces d'antarctique? Un nombrilisme dont jil faut redouter l'inefficience.
En d'autres termes, on a beau vanter les théories des Senghor et autres, on a beau commémorer les génocides, on a beau brandir à la face du monde quelques beaux paysages de l'Afrique joyeuse etc... Et puis après? Sommes-nous mieux? C'est un peu comme glorifier le salut en Jésus. Personne ne niera sa passion glorieuse. Et les arbres comme les pierres peuvent chanter son oeuvre millénaire... Mais cela ne nous empeche pas de poser la question: en quoi son message sauve l'Africain hic et nunc? Il ya une quinzaine d’années, nous lisions les productions des Mbembe (‘Ecrire l'Afrique à partir d'une faille’), les Célestin Monga (‘Anthropologie de la colère’), les Paul Ngoupande, les Daniel Etounga-Mangouelle, les Axel Kabou. Douze ans plus tard, non notre scepticisme mais notre reserve et notre préoccupation pour cette 'Afrique' demeure.
Après tant d'idéologies et théories sur l'authenticité, l'humanisme, l'Ujamaa, le Consciencisme etc..., le cimétière africain ne manque pas de héros et d’idéologies défuntes. Nous sommes en droit légitime de laisser se reposer Nkrumah aux cotés de Mobutu etc... Après avoir vanté les prouesses du Père-Fondateur, du genie africain, du héros de l'independance (ce qu'ils sont reellement) etc... ou en sommes-nous ? Cela nous aide-t-il à “etre par soi et pour soi selon l'ordre qui exclut la violence et l'arbitraire” pour reprendre un ancien jésuite.
Karma-Yoga